"La seule chose que l'on puisse prendre du paysage est une photographie,
la seule chose que l'on puisse laisser est l'empreinte de ses pas." Hamish Fulton

Mono Lake

Rares sont ces instants où la lumière semble se poser et caresser délicatement la matière. Hasard ou opportunité d'une rencontre entre le photographe et son sujet.

Le matériel

L'utilisation du médium photographique (chambre photographique) reste certainement le moyen le plus noble pour être le témoin des différents éléments et détails d'un paysage. Il donne la possibilité au photographe de faire corps avec lui pendant les différentes phases de réglage de l'appareil. Le photographe photographie au rythme de la lumière et non plus au rythme du temps. Par son format d'image restituée (du 4x5 inch au 8x10 inch), l'ensemble des détails de l'image apparaissent clairement et précisément.

Le médium photographique permet d'effectuer plusieurs réglages (mouvements) dont les principaux sont : le décentrement et la loi de Scheimpflug (loi des plans conjugués). Dans le cas précis de cette prise de vue, décentrement vertical et bascule du corps avant de l'appareil ont été utilisés afin de cadrer le sujet comme souhaité.

Matériels utilisés : - Chambre Linhof Master Technika
  - Optique Schneider Apo Symmar 5.6 / 120 mm
  - Cellule Minolta IV F
  - Plan Film Fuji RVP

L'acte

Au dessus de Mono Lake, lac d'eau salé situé à mi chemin entre la frontière du Nevada et le parc national de Yosemite en Californie, le ciel est coupé en deux. D'un coté et s'étirant vers l'ouest, un ciel dégagé et des milliers d'étoiles qui scintillent. De l'autre, une immense forme nuageuse et sombre en forme d'arc de cercle s'étend jusqu'à l'horizon vers l'est.

A cinq heures du matin on ne distingue encore aucune forme dans ce paysage presque lunaire à l'exception de la chaîne montagneuse "Cathedral Range" qui se découpe très légèrement sous le ciel bleu ancre. J'avance à tâtons avec ma lampe torche collé sur le front et tente de retrouver ces étranges formations calcaires repérées la veille et qui se trouvaient encore sous l'eau au début de ce siècle.

L'installation du matériel dans le noir est longue et difficile et je dois utiliser la lampe torche pour éclairer ces formations et effectuer les différentes mises aux points et bascules du corps avant de l'appareil. Plus de vingt cinq minutes seront nécessaires pour l'ensemble de ces réglages.

Petit à petit le décor se met en place. Les personnages "au chapeau" blanc sortent du sable et la montagne étire son voile neigeux de part et d'autre du décor dans un silence religieux. Seul le hurlement d'un coyote au loin annonce le début de l'acte. Le spectacle sera grandiose malgré la température proche de zéro. Je me tourne vers l'est et découvre enfin que les nuages ne s'étirent pas jusqu'à l'horizon, me donnant ainsi l'occasion, maintes fois attendue, de profiter de cet immense réflecteur à ciel ouvert.

Comme un feu d'artifice et pratiquement vingt minutes avant le lever de soleil, les nuages s'habillent progressivement de rouge, violet, mauve, magenta, orange ou jaune. Tout s'accélère. La lumière est à la fois si douce et si violente. Douce par l'uniformité de l'éclairage et l'absence d'ombre sur le sol, violente car "les chapeaux" des personnages se teintent au fur et à mesure de la progression des couleurs des nuages.

L'acte sera court ! Je diaphragme au maximum avec un temps de pose d'une minute et 15 secondes pour la première prise de vue et pour la quatrième (la dernière) de 20 secondes. En cinq minutes "les chapeaux" auront été de trois couleurs différentes et le sable mauve. L'acte était à son paroxysme.

Leçon d'humilité face à ce décor qui demain sera différent et où peut être un jour, tous ces personnages nous salueront bien bas de leur chapeau...

Agrandissement Cibachrome disponible dans la Collection Vintage - Planche 37

 

  
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